ESG & durabilité

Construire à crédit : comment la réduction de l'énergie grise peut assurer un meilleur bilan des ressources

19.03.2024

Jürg Schneider & Isabel Gehrer

La Terre présente depuis des années un bilan négatif en termes de ressources, comme le montrent les calculs du "Earth Overshoot Day". Le secteur de la construction et de l'immobilier joue un rôle décisif dans le recul de ce jour dans l'année civile. Pour cela, il est essentiel de prendre en compte non seulement les émissions de l'entreprise, mais aussi l'énergie grise lors de la construction.

Nous vivons sur l'écopompe. C'est ce que montrent les évaluations de l'Earth Overshoot Day (en français : "Journée de la surcharge de la Terre") du Global Footprint Network. Ce jour marque le moment de l'année à partir duquel la demande humaine en ressources dépasse la capacité régénératrice de la Terre. Les calculs sont publiés chaque année depuis 1961 et dressent un tableau sombre de la situation. L'année dernière, la date à laquelle l'ensemble de l'humanité a consommé la limite des ressources planétaires est tombée le 2 août.

La région DACH fait ici très mauvaise figure. Si tout le monde vivait comme la Suisse, le budget planétaire aurait été épuisé au bout de 132 jours lors du dernier calcul, soit le 13 mai 2023. L'Allemagne et l'Autriche font encore pire, avec seulement 123 jours et 95 jours respectivement dans le cadre du budget de ressources naturellement disponible.

Du Qatar à la Jamaïque : la journée de la surcharge terrestre 2023 de Global Footprint Network.

Le secteur immobilier, un acteur clé

Passons maintenant à la bonne nouvelle : le secteur de la construction et de l'immobilier peut, par sa consommation de ressources, son utilisation de l'énergie et ses projets de développement de sites, contribuer considérablement à réduire l'empreinte écologique mondiale et donc à retarder le Jour du dépassement de la Terre.

Mais d'abord, reprenons les choses dans l'ordre. Sous le slogan "Le pouvoir des possibilités" et accompagné du hashtag #Move - TheDate, le Global Footprint Network a identifié cinq domaines clés particulièrement prometteurs dans les efforts visant à améliorer la sécurité des ressources : la planète, les villes, l'énergie, l'alimentation et la population. En tant que secteur transversal, la construction et l'immobilier se rattachent à plusieurs de ces domaines, notamment avec le développement des smart cities et les efforts de décarbonisation du parc immobilier.

L'Earth Overshoot Day n'est qu'une des nombreuses initiatives qui appellent à un changement vers une économie circulaire. Avec le Green Deal de l'Union européenne et l'engagement politique en faveur de la neutralité climatique, des lois et des directives concrètes sont désormais rédigées ou du moins discutées, qui exigent un changement de mentalité dans le secteur de la construction et de l'immobilier.

 L'énergie grise, un aspect pertinent

Ce n'est pas un hasard. En effet, le secteur immobilier est considéré dans notre pays comme l'un des principaux émetteurs de CO2 et responsable d'immenses montagnes de déchets. Il en résulte un effet de levier considérable pour contribuer à la réduction des effets négatifs sur l'environnement par l'introduction de principes et de mesures durables.

Mais la réduction seule ne suffit pas. La voie vers la neutralité climatique implique également une nouvelle manière de penser et de travailler qui remet en question et modifie de fond en comble les processus de construction existants. Dans le contexte actuel de pénurie de ressources et de matériaux sur les chantiers européens, l'économie circulaire prend encore plus d'importance.

Les efforts de durabilité dans le secteur immobilier se concentrent encore souvent sur les émissions d'exploitation. Mais pour atteindre les objectifs de neutralité climatique d'ici 2050 - et soutenir ainsi efficacement le report du Earth Overshoot Day - nous devons rapidement nous tourner vers les émissions de construction. Cette énergie dite grise désigne toute l'énergie nécessaire à la construction d'un bâtiment. Cela inclut l'extraction des matières premières, la fabrication et la transformation des éléments de construction, le transport des matériaux et des éléments de construction vers le chantier, leur installation dans le bâtiment et, enfin, le démontage et l'élimination des matériaux de construction.

La réduction de l'énergie grise grâce à des pratiques de construction plus durables, à un choix de matériaux respectueux du climat et à une utilisation efficace et à long terme des matières premières contribue directement à la réduction de l'empreinte écologique et donc à l'amélioration du bilan global des ressources.

Valeurs limites pour les émissions grises dans l'UE

Certains pays ont déjà mis en place des lois et des réglementations visant à limiter l'énergie grise dans le secteur immobilier et à encourager les pratiques de construction durable. Le Danemark, par exemple, qui occupe actuellement la peu glorieuse huitième place des pays en dépassement de capacité avec seulement 86 jours dans les limites planétaires, poursuit activement la décarbonisation de son parc immobilier avec la Strategy for Sustainable Construction.

Depuis le début de l'année 2023, une limite légale de 12 kgCO2eq/m2/an s'applique aux bâtiments de plus de 1000 mètres carrés et doit être prouvée par un bilan écologique sur l'ensemble du cycle de vie. Le Danemark est le premier État membre de l'UE à imposer de telles exigences et prévoit de les renforcer encore dans deux ans et de les étendre à tous les bâtiments, y compris ceux de moins de 1000 mètres carrés. La trajectoire de réduction des émissions de construction est fixée tous les deux ans par des valeurs limites réduites, les valeurs pour les années à venir n'étant pas encore définies.

Plusieurs États membres de l'UE comme la Finlande (89 jours), la Suède (92 jours), les Pays-Bas (101 jours) ou la France (130 jours) ont également introduit des prescriptions en matière d'écobilan et préparent l'introduction rapide de valeurs limites pour l'établissement. On peut donc s'attendre à ce que, dans un avenir proche, une grande partie des nations d'Europe occidentale suivent l'exemple du Danemark. Ainsi, les valeurs limites pour les émissions grises de gaz à effet de serre deviendront de facto la norme pour la planification et la réalisation de biens immobiliers sous nos latitudes.

En Suisse, il n'existe actuellement (encore) aucune prescription légale concernant l'énergie grise. Les cahiers techniques SIA 2032 Energie grise - Bilan écologique pour la construction de bâtiments et 2040 Objectifs de performance énergétique constituent les bases essentielles pour la planification et la construction.

L'immobilier comme entrepôt de matières premières

L'une des raisons pour lesquelles les émissions de la construction ont été traitées de manière négligée jusqu'à présent est parfois l'incomplétude des données et la complexité de leur quantification. En effet, la multiplicité des acteurs, des régions, des voies de transport et des chaînes d'approvisionnement dans le processus de construction conduit souvent à des ensembles de données incomplets et complique le suivi efficace de l'énergie grise. Dans un premier temps, il faut donc des modèles de calcul clairs et surtout des données réelles et actuelles. Pour réaliser des économies d'échelle, ces données doivent être saisies avec précision, les matériaux utilisés lors de la construction doivent être soigneusement documentés et le développement ainsi que la standardisation de processus, de normes et d'outils circulaires doivent être activement encouragés. Ce n'est que si les matières premières autrefois utilisées sont réutilisées sur le prochain chantier ou dans le prochain immeuble à la fin du cycle de vie du bâtiment, au lieu de finir dans une décharge, que les biens immobiliers deviennent des entrepôts de matières premières efficaces (et en outre un investissement lucratif).

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