ESG & durabilité

«Je veux que vous paniquiez !» – ou : des stratégies de gestion des risques pour les portefeuilles immobiliers

03.07.2025

Johannes Gantner, Isabel Gehrer

Ce qui relevait autrefois du travail de pionnier en matière de durabilité risque aujourd’hui de tomber dans l’oubli. Car dans le tumulte des droits de douane, des marchés boursiers et de la pénurie de surfaces locatives abordables, les priorités entrepreneuriales se portent sur l’urgent – au détriment de l’essentiel. Pourtant, c’est précisément maintenant qu’il faudrait positionner les portefeuilles immobiliers pour l’avenir – et ancrer durablement la durabilité dans la gestion des risques.

« Drill, baby, drill », lançait Donald Trump dans son discours d’investiture. Le jour même de son arrivée à la Maison-Blanche, il déclarait l’état d’urgence énergétique national. Dans la foulée, une directive visait à déréglementer le secteur du pétrole et du gaz et à accélérer les forages et les infrastructures.

Un mois plus tard, la Commission européenne annonçait vouloir alléger plusieurs réglementations de l’UE afin de créer un « environnement plus favorable aux entreprises ». Les exigences en matière de reporting sur la finance durable, le devoir de diligence, la taxonomie verte, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et certains programmes d’investissement européens sont concernés. Ces paquets législatifs, appelés omnibus, visent à lever les obstacles bureaucratiques et à faciliter l’accès au financement de la transition durable.

Autrement dit : la plus grande économie mondiale parie – jusqu’à nouvel ordre – sur les énergies fossiles, indépendamment du réchauffement climatique. Dans le même temps, l’Europe desserre les contraintes de son Pacte vert, ce qui constitue un recul climatique préoccupant.

Alors, où est passée l’indignation de Greta Thunberg qui, en 2019, a secoué la planète avec son appel à la panique ?

Ce qui devient la norme devient silencieux

Greta n’est pas la seule à avoir disparu du radar. Les enjeux de durabilité aussi ont perdu en visibilité. Après être sortie de sa niche éco-alterno, la durabilité est devenue une thématique stratégique sous forme de critères ESG (environnement, social, gouvernance). Des équipes ont été mises en place, des indicateurs mesurés, des certifications demandées, des investissements réalisés. Aujourd’hui, la durabilité fait partie du minimum attendu. Sur le «Gartner Hype Cycle», elle aurait sans doute atteint le plateau de productivité.

Mais la routine ne fait pas de bruit. Ce qui va de soi disparaît de devant de la scène. Dans le vacarme géopolitique des guerres, des crises humanitaires, de la désinformation et des tensions commerciales, la neutralité climatique est reléguée au second plan. Ce silence est dangereux. Des catastrophes comme l’éboulement de Blatten rappellent brutalement que la panique d’hier était fondée – et que nous devons comprendre la durabilité comme un volet essentiel de la gestion des risques.

Le futur, c’est maintenant

Car une chose est claire : l’horloge tourne. L’objectif« net zéro » est fixé à 2050 – une échéance qui semble lointaine, mais qui laisse peu de marge de manœuvre pour le secteur immobilier. En raisonnant en cycles immobiliers, la majorité du parc existant ne pourra être rénovée ou transformée en profondeur qu’une seule fois d’ici là.

La conjoncture géopolitique, les incertitudes réglementaires et économiques rendent difficile toute planification fiable. Trop souvent, les propriétaires ou gestionnaires de portefeuilles optent pour la solution la moins coûteuse ou repoussent les décisions. Mais rester dans une logique linéaire à court terme ferme des portes structurelles à long terme. Pour garantir une transition climatique économiquement viable, des éléments comme les trajectoires de réduction carbone, l’énergie grise, les coûts du cycle de vie ou les risques climatiques doivent impérativement faire partie du processus décisionnel – et cela, le plus tôt possible.

Trois scénarios d’avenir pour 2050

Première étape : reconnaître que l’avenir n’est pas une fatalité, mais une question de choix. Avant de planifier des actions, il faut se projeter. Nous identifions trois scénarios plausibles qui pourraient façonner les 25 prochaines années :

1. « Green by Consequence »

Le changement climatique est ignoré, l’objectif des +1,5 °C abandonné. Les politiques restent inefficaces, les incitations économiques faibles. On gère les symptômes, pas les causes. Les dégâts sont majeurs, notamment dans les zones densément peuplées : pénuries d’eau, événements extrêmes, famines. Les dommages physiques sur les bâtiments et les infrastructures entraînent des coûts massifs pour les entreprises et la société.

Mot d’ordre : ignorer les risques, c’est s’y exposer de plein fouet.

2. « Green by Force »

La neutralité carbone devient impérative, quel qu’en soit le prix. Réglementations strictes, subventions massives, taxation sévère du CO₂, interdiction progressive des énergies fossiles. Les entreprises et la société subissent une pression de transformation intense. Refuser d’évoluer, c’est perdre l’accès au marché, aux financements ou à la légitimité sociale. Le chemin est dur, mais clair.

Mot d’ordre : pas de plan ? On vous en impose un.

3. « Green by Design »

L’objectif net zéro reste valable, mais sa mise en œuvre devient plus pragmatique. Les investisseurs évitent les surinvestissements tant que risques et bénéfices restent flous. Les incitations de marché, les innovations technologiques et la gouvernance par la donnée prennent le dessus. Les réglementations ciblées s’alignent sur les standards européens. Les critères ESG deviennent un pilier structurel de la stratégie immobilière.

Mot d’ordre : traduire la conviction en structure, pour se ménager des marges de manœuvre.

Tous les trois scénarios exigent des mesures sur mesure – adaptées au portefeuille, à l’emplacement et à l’usage. Ils requièrent une pensée en cycles de vie plutôt qu’en chiffres trimestriels.

Ce qu’il faut, ce n’est pas de l’activisme, mais une gestion prévisionnelle des risques : avec des scénarios solides, la prise en compte d’événements imprévus (« wild cards ») et des options d’action claires. Une telle approche permet non seulement de gagner du temps en cas de crise, mais aussi de garantir d’être prêt. Car ce n’est pas en pleine tempête que l’on décide si l’on tiendra bon – mais dans le calme qui la précède.

Réflexion sur le risque plutôt qu’exécution d’obligations

Dans la pratique, on observe que les détenteur·trice·s de patrimoine immobilier abordent de plus en plus la durabilité de manière différenciée et l’intègrent dans leurs organisations. Tandis que les initiatives RSE soulignent la responsabilité sociétale et environnementale des entreprises, une approche orientée vers le risque s’installe parallèlement. Elle repose sur la collecte systématique des données d’état, de consommation et d’émissions, ainsi que sur l’élaboration de profils de risque solides par bâtiment. L’objectif : identifier les risques ESG à un stade précoce et les intégrer comme variables de pilotage dans la stratégie de portefeuille.

Ainsi, la durabilité devient un facteur stratégique de décision – au-delà des obligations de reporting et des certifications. L’emplacement en particulier prend de l’importance : avec le changement climatique, la résilience des immeubles passe au premier plan. Les bâtiments doivent non seulement être efficaces, mais aussi résilients face à la chaleur, aux vents violents, aux inondations ou aux tensions sociales.

Pour quantifier ces risques, il faut une évaluation systématique des biens immobiliers selon leur consommation d’énergie, leurs émissions de CO₂, leurs risques climatiques physiques et leur résilience sociale. Sur cette base, on peut définir des profils de mesures spécifiques à chaque scénario d’avenir évoqué – différenciés selon l’usage, le site et la stratégie immobilière de l’organisation concernée.

Nous avons le choix : soit nous commençons à considérer la durabilité comme un risque à gérer activement – soit nous affronterons plus tard ses conséquences. Comme l’a si bien dit Greta Thunberg au WEF de Davos, il y a six ans : « I want you to act as if our house is on fire. Because it is. »


À propos des auteur·e·s

Dr. Johannes Gantner est associé chez pom+Consulting et dirige la Business Unit Sustainability. Avec son équipe, il aide les entreprises à identifier précocement les risques liés au changement climatique et à renforcer leur résilience par des stratégies durables ciblées.

Isabel Gehrer dirige le Future Lab chez pom+Consulting. Avec son équipe, elle accompagne les organisations dans la navigation d’un avenir complexe – au moyen de visions d’avenir percutantes, de démarches de prospective stratégique et d’un monitoring rigoureux des tendances et technologies.